17 Mars 2020, premier cours à distance avec mes élèves à Sciences Po. Habitué à utiliser une salle de cours je me retrouve tout petit devant ma caméra : comment capter l’attention de quelqu’un sans le fixer dans les yeux ? Comment rythmer mon discours sans marcher dans la salle ? Comment illustrer un concept sans faire un geste ? Je n’étais pas adepte des pupitres, mais je découvre que prendre de la hauteur quand on est confinés dans une vignette vidéo de 3 centimètres c’est particulièrement difficile.
Comment réinventer une posture de “Prof” à distance ?
Depuis cette première expérience j’ai enseigné environ 200 classes virtuelles avec NUMA et j’ai entretenu un journal pour noter mes apprentissages. Cette synthèse de mes échecs et découvertes m’a aidé à apprécier les aspects positifs de cette nouvelle forme d’enseignement.
Une première observation a été clé pour moi : à distance 50% de l’énergie est perdue entre les limitations du non-verbal, l’instabilité des connexions et l’impossibilité de contrôler le contexte dans lequel chacun va recevoir nos mots.
Quelques minutes avant chaque connexion je me mets en condition pour transmettre de l’énergie et de l’enthousiasme dès les premières minutes. Vous souvenez-vous de Robin Williams dans “Good Morning, Vietnam” ? Toujours démarrer avec énergie, même si c’est la guerre autour : crise sanitaire, enfants qui jouent aux fléchettes avec votre écran comme cible, voisins qui refont le carrelage en semaine, livreurs Amazon qui ne trouvent pas votre digicode. Si vous ne démarrez pas avec énergie, personne d’autre le fera.
N’ayez pas peur de trop en faire : soyez heureux de voir vos invités (étudiants, participants), accueillez les personnes qui se connectent en citant leurs noms, utilisez la caméra pour créer une connexion en demandant comment s’appelle le chat qui vient de passer derrière Justine ou d’où Matthieu nous parle avec un si beau contre-jour.
Marquez le démarrage du cours par deux phrases que vous avez préparées comme si vous étiez en train de lancer une émission radio en annonçant le thème du jour. La question que j’ai probablement le plus entendu parmi les profs, animateurs et managers depuis un an c’est: comment faire pour que tout le monde allume sa caméra ? Dans l’impossibilité de pouvoir l’imposer, j’ai observé une bonne pratique qui fait la différence : expliquer en amont que vous demanderez d’allumer les webcam dans un but de convivialité et pour réaliser des exercices qui demandent de réagir à l’écran. Le savoir en amont permettra aux participants de choisir quel angle de leur appartement (ou fond virtuel) ils vont partager en public et évitera les vues plongeantes sur une salle de bain ou sur une chambre qui ressemble à un lendemain de vide-grenier.
Parler de “Visio” est trompeur, enseigner à distance se rapproche moins d’une émission télé que d’un podcast : la voix est votre principal outil. Varier d’intonation, rythmer le discours, faire des pauses aux bons moments et utiliser un style oral engageant est beaucoup plus important qu’avoir une belle lumière ou une coiffure impeccable.
Votre voix remplace votre regard : pour faire comprendre à quelqu’un que vous voudriez qu’il intervienne, vous ne pouvez pas le suggérer avec un hochement de la tête, il faudra le nommer pour lui passer la parole. Ça peut paraître inconfortable au début, mais c’est un nouveau rôle de facilitateur qui implique de règles qui passent davantage par un style directif que par des gestes implicites ou des suggestions subtiles.
Moins visible, la gestuelle garde un rôle important. Même si on ne vous voit pas entièrement, utiliser vos gestes reste la meilleure manière pour cadencer votre voix. Enregistrez-vous en train de parler, si vous n’arrivez pas à vous suivre c’est que vous êtes probablement trop monotone. Avoir une voix claire à distance est l’équivalent d’écrire au tableau de manière lisible. Avoir un mauvais son c’est comme utiliser un feutre desséché.
Deux heures à distance sont l’équivalent d’une journée en présentiel. Ça peut être une promesse de qualité ou sonner comme une menace qui annonce un surdosage de contenus aux effets soporifiques. La différence entre les deux est dans la partition et dans le rythme.
Au niveau de l’agenda, le simple séquençage “Théorie puis pratique” ne marche pas. Ce qui marche c’est l’alternance de styles de conférence engageante et séquences pratiques, moments en plénière et moments en sous-groupe.
La fonctionnalité “salles virtuelles” proposée par les principaux outils de visioconférence peut rendre les cours en ligne plus interactifs et engageants que les cours traditionnels. Oubliez le temps passé à organiser les groupes, la concentration perdue à cause des tables voisines qui parlent trop fort, les plans sabotés par le “je vais juste prendre un café avant qu’on reprenne”, en ligne tout devient instantané, vous décidez de la durée des séquences et vous pouvez visiter chaque groupe sans bouger.
Après plusieurs essais, chez NUMA nous avons trouvé nos nombres d’or de la formation à distance.
Douze personnes : un groupe suffisamment petit pour pouvoir faire participer tout le monde, mais assez grand pour avoir des échanges animés et pouvoir faire des sous-groupes diversifiés. Deux heures : assez long pour traiter un sujet avec précision, mais assez court pour garder un rythme soutenu. 25%-75% : l’équilibre entre des séquences ”conférence” et des séquences interactives ou de travail en sous-groupes.
Tout ne doit pas être interactif, mais si plus d’un quart du cours consiste à vous écouter parler, il vaut mieux l’enregistrer comme une vidéo e-learning ou comme un podcast. Enseigner aujourd’hui passe aussi par savoir choisir le bon canal de communication en fonction du format et de l’objectif.
L’enseignement à distance a autant perturbé les élèves que les professeurs. Maintenant que la prise en main des outils est faite, la qualité de l’enseignement à distance passe par un changement de posture et un changement dans la manière de concevoir un cours. Pour que l’enseignement à distance ne soit pas une version dégradée du présentiel, destinée à le remplacer dans les périodes de crise, mais un nouveau format qui ouvre à des opportunités qui n’étaient pas disponibles avant.
17 Mars 2020, premier cours à distance avec mes élèves à Sciences Po. Habitué à utiliser une salle de cours je me retrouve tout petit devant ma caméra : comment capter l’attention de quelqu’un sans le fixer dans les yeux ? Comment rythmer mon discours sans marcher dans la salle ? Comment illustrer un concept sans faire un geste ? Je n’étais pas adepte des pupitres, mais je découvre que prendre de la hauteur quand on est confinés dans une vignette vidéo de 3 centimètres c’est particulièrement difficile.
Comment réinventer une posture de “Prof” à distance ?
Depuis cette première expérience j’ai enseigné environ 200 classes virtuelles avec NUMA et j’ai entretenu un journal pour noter mes apprentissages. Cette synthèse de mes échecs et découvertes m’a aidé à apprécier les aspects positifs de cette nouvelle forme d’enseignement.
Une première observation a été clé pour moi : à distance 50% de l’énergie est perdue entre les limitations du non-verbal, l’instabilité des connexions et l’impossibilité de contrôler le contexte dans lequel chacun va recevoir nos mots.
Quelques minutes avant chaque connexion je me mets en condition pour transmettre de l’énergie et de l’enthousiasme dès les premières minutes. Vous souvenez-vous de Robin Williams dans “Good Morning, Vietnam” ? Toujours démarrer avec énergie, même si c’est la guerre autour : crise sanitaire, enfants qui jouent aux fléchettes avec votre écran comme cible, voisins qui refont le carrelage en semaine, livreurs Amazon qui ne trouvent pas votre digicode. Si vous ne démarrez pas avec énergie, personne d’autre le fera.
N’ayez pas peur de trop en faire : soyez heureux de voir vos invités (étudiants, participants), accueillez les personnes qui se connectent en citant leurs noms, utilisez la caméra pour créer une connexion en demandant comment s’appelle le chat qui vient de passer derrière Justine ou d’où Matthieu nous parle avec un si beau contre-jour.
Marquez le démarrage du cours par deux phrases que vous avez préparées comme si vous étiez en train de lancer une émission radio en annonçant le thème du jour. La question que j’ai probablement le plus entendu parmi les profs, animateurs et managers depuis un an c’est: comment faire pour que tout le monde allume sa caméra ? Dans l’impossibilité de pouvoir l’imposer, j’ai observé une bonne pratique qui fait la différence : expliquer en amont que vous demanderez d’allumer les webcam dans un but de convivialité et pour réaliser des exercices qui demandent de réagir à l’écran. Le savoir en amont permettra aux participants de choisir quel angle de leur appartement (ou fond virtuel) ils vont partager en public et évitera les vues plongeantes sur une salle de bain ou sur une chambre qui ressemble à un lendemain de vide-grenier.
Parler de “Visio” est trompeur, enseigner à distance se rapproche moins d’une émission télé que d’un podcast : la voix est votre principal outil. Varier d’intonation, rythmer le discours, faire des pauses aux bons moments et utiliser un style oral engageant est beaucoup plus important qu’avoir une belle lumière ou une coiffure impeccable.
Votre voix remplace votre regard : pour faire comprendre à quelqu’un que vous voudriez qu’il intervienne, vous ne pouvez pas le suggérer avec un hochement de la tête, il faudra le nommer pour lui passer la parole. Ça peut paraître inconfortable au début, mais c’est un nouveau rôle de facilitateur qui implique de règles qui passent davantage par un style directif que par des gestes implicites ou des suggestions subtiles.
Moins visible, la gestuelle garde un rôle important. Même si on ne vous voit pas entièrement, utiliser vos gestes reste la meilleure manière pour cadencer votre voix. Enregistrez-vous en train de parler, si vous n’arrivez pas à vous suivre c’est que vous êtes probablement trop monotone. Avoir une voix claire à distance est l’équivalent d’écrire au tableau de manière lisible. Avoir un mauvais son c’est comme utiliser un feutre desséché.
Deux heures à distance sont l’équivalent d’une journée en présentiel. Ça peut être une promesse de qualité ou sonner comme une menace qui annonce un surdosage de contenus aux effets soporifiques. La différence entre les deux est dans la partition et dans le rythme.
Au niveau de l’agenda, le simple séquençage “Théorie puis pratique” ne marche pas. Ce qui marche c’est l’alternance de styles de conférence engageante et séquences pratiques, moments en plénière et moments en sous-groupe.
La fonctionnalité “salles virtuelles” proposée par les principaux outils de visioconférence peut rendre les cours en ligne plus interactifs et engageants que les cours traditionnels. Oubliez le temps passé à organiser les groupes, la concentration perdue à cause des tables voisines qui parlent trop fort, les plans sabotés par le “je vais juste prendre un café avant qu’on reprenne”, en ligne tout devient instantané, vous décidez de la durée des séquences et vous pouvez visiter chaque groupe sans bouger.
Après plusieurs essais, chez NUMA nous avons trouvé nos nombres d’or de la formation à distance.
Douze personnes : un groupe suffisamment petit pour pouvoir faire participer tout le monde, mais assez grand pour avoir des échanges animés et pouvoir faire des sous-groupes diversifiés. Deux heures : assez long pour traiter un sujet avec précision, mais assez court pour garder un rythme soutenu. 25%-75% : l’équilibre entre des séquences ”conférence” et des séquences interactives ou de travail en sous-groupes.
Tout ne doit pas être interactif, mais si plus d’un quart du cours consiste à vous écouter parler, il vaut mieux l’enregistrer comme une vidéo e-learning ou comme un podcast. Enseigner aujourd’hui passe aussi par savoir choisir le bon canal de communication en fonction du format et de l’objectif.
L’enseignement à distance a autant perturbé les élèves que les professeurs. Maintenant que la prise en main des outils est faite, la qualité de l’enseignement à distance passe par un changement de posture et un changement dans la manière de concevoir un cours. Pour que l’enseignement à distance ne soit pas une version dégradée du présentiel, destinée à le remplacer dans les périodes de crise, mais un nouveau format qui ouvre à des opportunités qui n’étaient pas disponibles avant.